 1919, l'Amérique voit ses soldats rentrer du massacre de la grande Guerre. Les noirs tel Luther vont perdre leur boulot afin de laisser la place aux vaillants soldats. Danny, flic à Boston, va risquer sa vie en ramenant des soldats atteint d'une grippe mortelle. Ce fils de flic irlandais va d'abord suivre les traces de son père et infiltrer les milieux anarchistes et révolutionnaires qui semblent représenter une menace pour son pays. Il veut sa plaque dorée et gagner du galon. Petit à petit, sa conscience sociale va s'éveiller et il sera l'un des meneurs de la grande grève des policiers à l'automne.
Luther, lui, va quitter femme et futur enfant après une rixe sanglante pour fuir vers Boston. Domestique du père de Danny, il va devenir son ami. Il va aussi devoir affronter son oncle, le redoutable Eddie Mckenna, qui lui demande de trahir ses nouveaux amis du NAACP (National Association for the Advancement of Coloured People). Deux personnages, deux destins que nous allons suivre quelques mois avec en toile de fond les évènements tragiques qui bouleverseront de nombreuses vies à Boston comme dans tous les Etats-Unis cette année-là.
Les flics qui comme la majorité des ouvriers, travaillent soixante-dix à quatre vingt heures par semaine pour un salaire de misère qui ne leur permet même pas d'acheter du charbon. Les noirs qui risquent leur peau simplement à parler à un blanc. Les émigrés qui, en tout temps cristallisent les haines et les peurs, y compris de ceux qui les ont précédés. Tous s'organisent en mouvements, en syndicats, plus ou moins radicaux, plus ou moins violents. Ils vont trouver en face, les riches, les nantis, les politiques qui vont manipuler l'opinion avec ce qui fait encore recette aujourd'hui: la peur, celle des extrémistes, des communistes, et oui, c'est la première "Red scare" bien avant le Maccarthisme.
Est-ce que cette époque a marqué irrémédiablement ce pays, l'a façonné? Le titre le laisse à penser. En tout cas, Dennis Lehane en est persuadé et nous invite à le suivre dans une fresque épique mêlant les histoires intimes de ses personnages avec l'Histoire du peuple américain. On y croisera Babe Ruth, une des premières vedettes du Baseball mais aussi J. Edgar Hoover, jeune avocat qui débute à Boston la carrière que l'on connaît. Et ces dizaines d'inconnus qui ont forgé l'histoire des Etats-Unis.
C'est aussi un roman d'initiation. Danny se rendra compte qu'on peut se libérer de la tutelle de sa famille -" tu te rendras compte que l'on a deux famille, celle qui t'as donné le jour et celle que tu créé". Il verra clair dans la noirceur de ceux qui l'entourent "Cette terrible mesquinerie des hommes est plus puissante que lui - plus puissante que tout."
Luther arrivera à s'arracher des chaînes de sa négritude pour prendre son destin en main. Il saura se construire, se reconstruire au milieu du marasme et malgré le racisme qui étouffe les descendants d'esclave.
Dans un reportage, intéressant au demeurant, il est dit que Lehane tourne le dos au polar pour la fresque historique. Quelle erreur, c'est au contraire un grand roman noir que nous livre ici l'écrivain américain. Un livre qui met la condition sociale au centre de l'histoire.
Roman d'initiation, roman historique, roman noir ou roman social, qu'importe. C'est avant tout un grand roman qui démontre, si besoin était, que Dennis Lehane est un des écrivains majeurs américains en ce début de vingt-et-unième siècle.
Corinne Naidet  |
