"Tous les hommes songent un jour ou l'autre à tuer leur famille. Certains le font. Les uns par vengeance, les autres parce qu'ils n'ont pas le choix" Voilà la pensée de Paul Steward, la quarantaine, à six heure du matin juste avant d'aller faire l'amour à sa femme. Pourtant, il a, semble t'il, tout pour être heureux, il possède un magazine scientifique des plus renommés, une belle femme, une belle maison, trois beaux enfants. Mais voilà à la fin de cette journée, il va tuer son épouse, sa fille, ses fils et lui-même. Du moins nous le laisse-t-il croire dès les premières phrases.
Il va se rendre à New York, au travail, en train, il habite une lointaine mais sélecte banlieue. Il va honorer tous ses rendez-vous professionnels de la journée. Il va rencontrer ses deux meilleurs et seuls amis et boire quantité de Jack Daniel's. Il va s'offrir une petite séance érotique dont beaucoup d'hommes fantasmeraient, pourtant d'une immense tristesse…
En 280 pages, Julius Horwitz  narre à la première personne cette longue et dernière journée de Paul Steward. Un récit méticuleux, minutieux sans effet de style, ou d'envolée lyrique, le lecteur reste en permanence avec Steward, comme caché derrière son épaule.  On connaitra par de nombreux flashback une grande partie de sa vie, de sa réussite sociale. Il nous racontera ses pensées secrètes, "ces ennemies naturelles", ses lents et irrépressibles dégouts, ce désintéressement de plus en plus total qui l'envahit.
On pense alors à ces deux vers de Jimi Hendrix
"Will I live tomorrow, well I just can't say.
But I know for sure, I don't live today" (1)

La force et l'habileté de ce magnifique roman est qu'à partager constamment les pensées cachées du héros, le lecteur se demande,  ce qui, tout bien réfléchi, le retiendrait de faire comme Paul. Peut être tout simplement l'absence d'une carabine Remington dans son placard…

Les éditions Baleine tape un grand coup avec cette réédition d'un roman paru en 1975 aux États-Unis, en 77 au Seuil et tombé depuis dans un oubli regrettable.
Jeff Kanew a adapté ce roman en 1979 hélas toujours pas réédité en DVD, à vos K7.

Jacques Lerognon               

(1)"Vivrais-je encore demain, je ne saurais le dire
Mais je peux l'affirmer, aujourd'hui je ne vis point"