|  "Ici, on ne possède rien sans y mettre  du sang". Benjamin Whitmer  nous entraine dans une Amérique déglinguée, à la ramasse totale où l'âpreté des  paysages du Kentucky et de l'Ohio n'a rien à envier avec l'aridité et la  rudesse des personnages du roman. A commencer par Pike, qui tente d'oublier la  violence de son passé aux côtés de Rory, un jeune boxeur paumé. Tous deux  englués par les drames anciens. Pas question d'oublier. Juste de temps en temps  s'étourdir. Ainsi Sarah, la fille de Pike, qui meurt d'une overdose en laissant  Wendy, douze ans, seule. Pike, qui a l'habitude de parler avec ses poings,  comme Rory, voit arriver la fillette comme une rédemption possible. Wendy  semble avoir vécu l'indicible, elle griffe, se hérisse comme Monster le chaton  qu'elle trimballe. Mais c'est une gosse avec, peut-être, peut-être, un avenir,  mot que Pike et Rory avaient banni de leur vocabulaire. Derrick, lui, est flic  à Cincinnati. Il applique sa propre loi avec son .45 et son poing américain: les putains de négros ne méritent que ça  et les putes junkies aussi. Derrick  va quitter la capitale de l'Ohio pour rôder autour de Wendy. Pike fait le  chemin inverse pour comprendre pourquoi et comment Sarah, sa fille, est morte.  Ces deux-là vont se croiser, s'affronter. En un duel qui fera bien des dommages  collatéraux et laissera des sillons de sang dans la neige sale et grise. Des motels  miteux aux ruelles sordides, des rades paumés aux immeubles noirs de crasse, le  décor est planté. L'amateur de roman noir se rappellera qu'il y a quelques  années, il a plongé dans la même fange avec les romans de David Goodis. Il a  suivi la même désespérance des personnages, leur solitude, le manque total  d'espoir. La rédemption est quasi impossible et l'on a effacé la frontière  entre les bons et les méchants.  Autant  dire que pour un premier roman, la comparaison est flatteuse car nous prenons  l'auteur américain pour l'un des plus grands.
 Coup de cœur  donc pour ce roman illuminé d'une écriture épurée, aiguisée, tranchante qui  taille à vif dans les cœurs et les corps (au passage, un coup de chapeau à la  très bonne traduction de Jacques Mailhos). Dialogues minimalistes, il n'est  plus temps de parler, à quoi peuvent encore servir les mots? Et quelques  magnifiques envolées quand  finalement,  " les plaines de l'ouest continuent  à se dérouler jusqu'à l'horizon, comme les conséquences de son moi plus jeune,  comme les commotions de son propre passé qui continuent à lui revenir en  écho."
 Et deux  certitudes: vous n'aurez pas forcément envie d'aller vous balader au pays du  Jack Daniels. Mais vous attendrez avec impatience le deuxième roman de Benjamin  Whitmer que ne manquera pas de publier l'excellente maison d'édition  Gallmeister.
    Corinne Naidet             |