Le coup de coeur de 2012 en automne

     

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Pike du noir par Benjamin Whitmer"Ici, on ne possède rien sans y mettre du sang". Benjamin Whitmer nous entraine dans une Amérique déglinguée, à la ramasse totale où l'âpreté des paysages du Kentucky et de l'Ohio n'a rien à envier avec l'aridité et la rudesse des personnages du roman. A commencer par Pike, qui tente d'oublier la violence de son passé aux côtés de Rory, un jeune boxeur paumé. Tous deux englués par les drames anciens. Pas question d'oublier. Juste de temps en temps s'étourdir. Ainsi Sarah, la fille de Pike, qui meurt d'une overdose en laissant Wendy, douze ans, seule. Pike, qui a l'habitude de parler avec ses poings, comme Rory, voit arriver la fillette comme une rédemption possible. Wendy semble avoir vécu l'indicible, elle griffe, se hérisse comme Monster le chaton qu'elle trimballe. Mais c'est une gosse avec, peut-être, peut-être, un avenir, mot que Pike et Rory avaient banni de leur vocabulaire. Derrick, lui, est flic à Cincinnati. Il applique sa propre loi avec son .45 et son poing américain: les putains de négros ne méritent que ça et les putes junkies aussi. Derrick va quitter la capitale de l'Ohio pour rôder autour de Wendy. Pike fait le chemin inverse pour comprendre pourquoi et comment Sarah, sa fille, est morte. Ces deux-là vont se croiser, s'affronter. En un duel qui fera bien des dommages collatéraux et laissera des sillons de sang dans la neige sale et grise.
Des motels miteux aux ruelles sordides, des rades paumés aux immeubles noirs de crasse, le décor est planté. L'amateur de roman noir se rappellera qu'il y a quelques années, il a plongé dans la même fange avec les romans de David Goodis. Il a suivi la même désespérance des personnages, leur solitude, le manque total d'espoir. La rédemption est quasi impossible et l'on a effacé la frontière entre les bons et les méchants.  Autant dire que pour un premier roman, la comparaison est flatteuse car nous prenons l'auteur américain pour l'un des plus grands.
Coup de cœur donc pour ce roman illuminé d'une écriture épurée, aiguisée, tranchante qui taille à vif dans les cœurs et les corps (au passage, un coup de chapeau à la très bonne traduction de Jacques Mailhos). Dialogues minimalistes, il n'est plus temps de parler, à quoi peuvent encore servir les mots? Et quelques magnifiques envolées quand  finalement, " les plaines de l'ouest continuent à se dérouler jusqu'à l'horizon, comme les conséquences de son moi plus jeune, comme les commotions de son propre passé qui continuent à lui revenir en écho."
Et deux certitudes: vous n'aurez pas forcément envie d'aller vous balader au pays du Jack Daniels. Mais vous attendrez avec impatience le deuxième roman de Benjamin Whitmer que ne manquera pas de publier l'excellente maison d'édition Gallmeister.

 

Corinne Naidet          precedent coup de coeur     haut de la page

 
 




 
 
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